Dans le cadre de mon « carré VIP », chaque mois je reçois un(e )passionné(e) qui nous partage une réflexion sur l’art.
L’article ci-dessous est un article invité rédigé par Roy Pallas.
Bonjour, je m’appelle Roy Pallas, je suis l’heureux auteur du blog le dessin. J’ai fait des études d’arts plastiques et ai obtenu mon master l’année dernière. Bien que le dessin soit ma passion première, mes projets artistiques sont très diversifiés (photographie, sculpture, découpage…) et je ne pratique pas du tout la peinture ^^. Oui ça peut sembler étrange puisque je viens de finir un article sur ce sujet en tant qu’invité sur le blog de Diane. En fait si je me permets de poser quelques lignes sur ce thème, c’est parce que j’ai le souvenir d’un livre très intéressant qui m’a été suggéré par mon professeur de peinture pendant ma licence.
L’ouvrage s’appelle « L’œuvre picturale et les fonctions de l’apparence » de René Passeron. C’est un des rares livres de peinture que j’ai lu et surement le plus inspirant. Ce doit être parce que l’auteur pratique la peinture en plus d’être un théoricien aux idées inspirantes. J’ai toujours une petite retenue face aux ouvrages de théories pures écrits par des penseurs qui n’ont jamais eu d’expérience artistique.
Là ce n’est pas le cas, l’auteur sait de quoi il parle et tout son texte transpire l’expérience. Il livre ses impressions avec des détails que seul un artiste peut saisir. Ce qui m’inspire le plus dans son ouvrage c’est que l’auteur ne parle pas seulement de peinture, je veux dire que ses idées s’appliquent à d’autres domaines.
Je pense que tous les artistes quelque soit leur art, peuvent se reconnaitre dans ses propos. Les sensations que René Passeron décrit pendant toutes les étapes de l’exécution de l’oeuvre me touchent également bien que je ne sois pas dans la peinture.
Ce livre est très peu connu, alors j’ai proposé à Diane de faire un résumé d’une partie de l’ouvrage qui puisse être intéressant pour ses lecteurs. J’ai choisi de parler en particulier de la partie « plaisir et peine », parce que ce chapitre englobe la relation entre le peintre et son œuvre, le temps de la production, la préparation à l’exécution, l’achèvement de la toile…
Bref ce chapitre pourrait être un livre à part entière. J’espère que les idées que vous trouverez dans cet article vous inspireront.
Les sentiments dans la création
Dans un premier temps l’auteur nous parle du peintre au travail et du fait que celui-ci n’est jamais complètement heureux de peindre. René Passeron fait une distinction entre cet état de bonheur (une « détente béate ») et une certaine forme de désespoir qui anime l’artisan devant sa toile.
Le travail est d’abord une entreprise puis un effort avant d’être une œuvre. Le peintre durant sa besogne se situe entre deux frontières affectives (plaisir et peine) qui sont les seuils de la mobilisation de sa propre énergie. Un ami artiste m’a raconté que la création (la vraie) ne se faisait jamais dans la détente mais qu’elle met toujours le créateur dans le trouble, l’inquiétude, la réflexion.
L’auteur met quand même une réserve en précisant que le seul véritable ennemi du peintre, le seul qui peut nuire à son travail est la pensée du « à quoi bon ? « . La lassitude qui serait non pas un oscillement entre deux sentiments mais un mouvement à une seule direction qui ferait disparaitre toute volonté créative, qui la figerait en quelques sortes.
Le « à quoi bon ? « cristallise, alors que l’entre-deux est dominé par l’action, une sorte de combat pour la vie, pas celle du peintre mais pour la naissance de sa toile.
L’imaginaire
Il est également question d’un entre-deux temporel. Le peintre se situe entre deux instants, entre celui de la touche qu’il vient de poser et celle qu’il va choisir de mettre juste après. Il n’évolue donc pas d’une manière linéaire, sa trajectoire est dictée par son imagination du moment.
Je ne suis pas peintre mais je pense qu’il est facile de voir de quel sentiment il s’agit, lorsque l’on se retrouve devant son travail et qu’il nous faut choisir comment le poursuivre. Quel élément ajouter ? De quelle taille ? Tourné vers quelle direction ?…
L’imaginaire est ce qui va permettre au peintre de progresser sur sa toile. Ainsi il est souvent profitable pour eux de faire le « vide » avant de se lancer dans une production picturale. Devant leur support, certains se concentrent pour ne penser à rien, pour faire « table rase » et ainsi être plus réceptif aux idées qui vont survenir lors de l’exécution du tableau.
Ce dernier est comme une sorte de « néant visuel » qui sert à faire place à quelque chose, une vision encore inexistante du peintre.Que l’artiste soit calculateur ou plutôt lyrique dans sa gestuelle, il y a préalablement un recul devant la toile avant de créer. D’ailleurs dans sa définition, le créé ne peut être connu par avance, c’est en œuvrant qu’on le découvre.
Chez certains peintres, cette gestation inconsciente se traduit par une irritabilité de l’humeur et quelquefois un malaise qui sert de déclencheur du travail.
Il y a des moments où l’imagination de l’artiste lui joue des tours. Quelquefois, il croit pouvoir tenir le fil du projet, il croit voir clairement toutes les étapes de la construction du tableau et l’instant d’après, tout disparait comme un mirage dès les premières esquisses.
Le peintre se trouve démunie contre cette fuite incontrôlable de l’image de sa peinture. Ce n’est ni la faute du matériel, ni celui des outils, mais celle de l’ouvrier. Bien qu’il y ait mis toute sa bonne volonté, les circonstances, (une touche posée en plus, une couleur différente de ce qu’il imaginait produire…) ont fait que le fil de l’image s’est cassé.
La relation œuvre/peintre
L’œuvre en train d’être construite exerce une tyrannie sur son créateur. L’auteur compare le travail de l’artiste à une bête qui n’existe que pour le peintre et nulle autre personne. L’œuvre dicte ses règles, c’est elle qui pose ses questions.
A partir du moment où le peintre tente d’y répondre, c’est toute sa vie qui est sollicitée. Ses sentiments, tout ce qu’il verra, sera orienté par rapport à ces problèmes qui l’empêchent d’achever sa création. C’est ce rapport œuvre-peintre qui montre que l’atelier n’est pas séparé de la vie.
Le simple visiteur voit dans l’atelier une pièce supplémentaire de la maison, un lieu de travail. Mais l’artiste ne limite pas son activité à l’intérieur de ces quatre murs, au contraire, l’extérieur permet d’enrichir son monde personnel.
C’est finalement le peintre qui est la nourriture de son œuvre. « L’œuvre est devenu un monstre à nourrir ». La nourriture que le peintre devra donner à sa création est faite de souvenirs, de tranches de vie, de son expérience. L’artiste n’est pleinement lui-même que lorsqu’il porte en lui le souci de l’œuvre à faire.
Les études préalables à l’oeuvre sont autant d’expériences faites par le peintre pour adapter la nature (ce qu’il s’est approprié de l’extérieur) à sa création. Le but de ces études est de donner à l’oeuvre une nourriture qui lui aille et au mieux la fortifie. Cependant l’artiste doit adapter les études faites pour qu’elles puissent être assimilées par l’oeuvre, qu’elles correspondent à la logique du tableau.
René Passeron qualifie l’artisan comme étant celui qui va adapter, varier les doses, supprimer des éléments pour agencer le tout sur la composition finale. C’est peut-être à cause de cet entrecroisement entre la vie du peintre et de son atelier que les artistes ont acquis la réputation d’être souvent la tête dans les nuages alors qu’ils ne font que réfléchir à leur oeuvre. En tout cas on me le dit régulièrement ^^.
Par contre, la toile en devenir, malgré l’aspect tyrannique exercée sur le peintre, est entièrement dépendante de lui. Le paradoxe de l’oeuvre est que bien qu’elle soit toujours en demande d’amélioration, elle est aussi un exemple de passivité.
La relation entre le peintre et son travail s’apparente en fait à un faux dialogue. Les questions sont faites par le peintre et chaque réponses données engendre une nouvelle demande plus précise que la précédente. L’oeuvre se fait moins vorace mais plus exigeante à mesure que le travail avance, tout le talent du peintre est mis en jeu lorsqu’il doit décider du point final.
Il doit arriver à conserver l’équilibre de sa création. La tension qui l’oppresse à ce moment là est comparable à celle d’une colonne de cube empilée auquel chaque élément ajouté en augmente la taille mais la rend plus vacillante.
Devant cet état, le peintre peut agir de deux manières ; soit il remet la réflexion sur le point final à plus tard (ce qui est mon cas lorsque je fais un long dessin ou une toute autre production qui me prend du temps ; soit il s’acharne en essayant de trouver un moyen de le terminer.
Le travail du peintre n’est donc encore une fois, pas une jouissance passive, mais une lutte du début à la fin, avec ses déceptions, ses abattements mais aussi son enthousiasme qui immerge d’une action créatrice. Le plaisir de peindre (à créer) ne vient pas uniquement de la facilité et de l’aisance.
Le bon peintre est celui qui calque son rythme de travail sur celui des matériaux. Une partie des artistes tentent d’imposer leur volonté sur eux alors que ce qui fait le « sérieux » de l’artisanat est justement le respect et la connaissance des éléments utilisés. Donc l’artiste ne se presse pas, il ne cherche pas à accomplir un quelconque record de production picturale.
Toutefois, il sait exactement à quel moment intervenir. Il n’y a qu’à voir l’exemple de l’encre sur papier et les différents effets qu’on peut obtenir en espaçant plus ou moins les coups de pinceaux dans le temps de séchage. Je pense à Vermeer (mon peintre préféré) par exemple, qui, de son vivant n’a réalisé qu’une trentaine de tableaux.
Le paradoxe pour être un bon peintre est qu’il faut être paresseux. D’une part à cause de cette prise en compte du rythme des matériaux mais également pour celui de l’oeil. Il faut apprendre le plaisir de flâner, de contempler, de laisser murir le regard.
Cet état de liberté volontaire sert à « desserrer l’étreinte de l’œuvre », à
rompre l’accoutumance de l’œil (et en même temps celle de l’esprit). C’est important puisqu’avec le travail survient un affaiblissement de l’imaginaire de l’artiste. Il lui faut donc un temps de répit, une
pause pour retrouver ses facultés créatrices.
Des peintres ont tout de même un moyen de ne pas être paresseux tout en bénéficiant d’une récréation pour leur esprit. Ceux-là exécutent plusieurs tableaux en même temps. Chacun de ces projets étant la récréation de l’autre, et aucun n’accapare entièrement l’attention du peintre. C’est très important de le noter puisque à un moment donné l’oeil se fatigue de travailler sur le même projet.
Ce n’est qu’avec de l’expérience que le peintre pourra sentir survenir les faiblesses du regard, les moments de « lâchage » de l’oeil, alors qu’au contraire la main ne demande qu’à travailler. « Dans l’art du chevalet, la bras se fatigue moins vite que le regard».
Il faut savoir ne pas insister quand cette accoutumance qui endort la vue, la rendant moins alerte, survient.
Le rythme du travail
Peindre n’est donc pas un travail régulier ni mécanique. De ce fait, la peinture est l’ennemie de la productivité industrielle. Peindre est une conduite où chaque geste est calculé, où chaque seconde apporte un choix à faire, et demande une initiative. Néanmoins, on peut se libérer de la besogne quand le cœur nous en dit
(et heureusement d’ailleurs, la créativité s’exprime mal dans l’obligation).
La vitesse avec laquelle le peintre applique son médium sur la toile serait également liée à la confiance en soi. Cette confiance qui sous-entend un plaisir du travail mais également une grande rapidité dans les choix à faire. Passeron prend l’exemple de Picasso qui, lorsqu’il était au Beaux-Arts, terminait une toile en une journée alors qu’elle demandait un mois aux autres élèves.
L’achèvement de l’œuvre
Après l’avoir nourrie et y avoir passé beaucoup de son temps, d’y être revenu plusieurs fois, le tableau s’achève enfin.
L’artiste s’arrête au moment où il pense l’œuvre « réussie » et non « achevée ». Car après le dernier coup de pinceau il y a ce sentiment de vouloir « revenir dessus » qui subsiste. Surtout pendant la longue phase d’observation qui précède la réussite du tableau.
Après la dernière touche, l’artisan se plonge dans une méditation critique de son oeuvre, il la décortique de long en large. Cela en ayant ce sentiment de crainte d’y trouver quelque chose qui accroche l’oeil et en même temps l’espoir d’avoir une correction à apporter, afin de prolonger son plaisir de création.
Plusieurs sentiments à la fin de l’oeuvre poussent le créateur à livrer son travail au public :
- La fièvre de la création est passée. Il vaut mieux laisser les choses telles qu’elles sont plutôt que de risquer de gâcher ce qui a né d’un seul jet.
- La fatigue. Presqu’un écœurement de l’œuvre, de l’avoir trop travaillée. L’oeuvre vous « sort par les yeux » et vous n’avez qu’une envie, c’est de passer à autre chose.
- La conscience d’avoir réussi à atteindre un équilibre plastique des formes et couleurs qui vous satisfait. Tel Matisse qui recherche l’harmonie dans les formes pures et les tons.
- Une satisfaction de soi, d’avoir pu mener un projet d’œuvre à son terme. D’avoir pu faire les bons choix du début à la fin.
- L’abandon d’un tableau dont on se désintéresse. L’œuvre est une impasse. Elle soulève un problème qui mérite d’être traité sur une nouvelle peinture ou alors le peintre considère le tableau fini, comme moins important que le plaisir qu’il a trouvé pendant son exécution. « Passé le plaisir, adieu l’ouvrage ».
Qu’est-ce qu’une toile aboutie ? D’un point de vue technique, c’est une toile qui correspond à l’intention qu’on avait avant de se lancer dans sa conception. D’un autre côté on peut aussi se dire que la toile est achevée lorsqu’elle est portée à la fin des possibilités qu’on peut lui ajouter.
Tout est dit, que puis-je encore ajouter à cet équilibre que je viens de créer ? La peinture serait donc la manifestation physique d’un raisonnement, ainsi on peut finalement dire que c’est le peintre qui aboutit, qui conclut et non la toile.
Si le peintre choisit d’apporter une retouche, celle-ci ne peut se faire que sur un détail de l’oeuvre. Il s’agit de réajuster des éléments, voir d’en ajouter mais de manière très légère, il faut pouvoir conserver la logique interne de la toile. Il ne s’agit pas de refaire le tableau. « La retouche est donc de ces touches finales dont l’éventail de possibilités est très réduit »
Crédit photo : tramstras, melinprincesse
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Alors, amis peintres, vous reconnaissez-vous dans ces quelques propos de René Passeron résumés ci-dessus par Roy ? Discutons-en dans les commentaires ! (^_-)
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